Otto Kruger

Né le 6 septembre 1885, à Toledo, dans l’Ohio, Otto Kruger est un gentleman. Cheveux argentés, physionomie distinguée et toujours tiré à quatre épingles, il donne un air altier à tous ses personnages, fussent-ils des gangsters. Sa présence immédiate à l’écran tient en grande partie à ses manières affables, à son sourire fin et à sa prestance naturelle. Otto Kruger se produit d’abord à Broadway, dès le milieu des années 10. Sa distinction innée lui vaut de jouer un prince dans la pièce «Sonya» (1921), tirée d’un livre d’Alexander Wyckoff. Dans «Will Shakespeare» (1923), de Clemence Dane, il incarne le célèbre dramaturge anglais, aux côtés de la grande actrice de théâtre Katharine Cornell. Après une interruption au début des années 30, sa carrière théâtrale se poursuit jusqu’à la fin de la décennie suivante.

Au cinéma, le rôle dont on se souvient peut-être le plus est celui d’Edward Randolph, dans «Le secret magnifique» (1954), le flamboyant mélodrame de Douglas Sirk, qui est pourtant loin de ses emplois de méchants habituels. Dans ce film, en effet, il persuade un Rock Hudson désinvolte de se racheter en faisant le bonheur de la femme, Jane Wyman, qu’il a rendue aveugle. Il se rapproche alors de lui, le visage empreint de bonté, et, d’une voix suave, lui parle de l’amour du prochain. La scène pourrait être mièvre, elle est bouleversante. Quelque chose, dans le regard et la voix de Otto Kruger, crée une sorte d’alchimie et provoque une véritable émotion. D’habitude, en effet, le comédien ne fait pas partie des honnêtes gens. De fait, après une petite incursion du côté du cinéma muet, il joue un malfrat dans l’un de ses premiers films parlants, «Le héros des dames» (1933), de W.S van Dyke, avec Myrna Loy. Dès le départ, il imprime à ses personnages de «villains» cette classe souveraine qui est sa marque de fabrique. Ses méchants s’habillent toujours bien, adoptent un langage châtié et ont le sens des convenances. C’est le cas du chef d’un gang de saboteurs dans «Cinquième colonne» (1942), de Alfred Hitchcock, du colonel de la Gestapo de «Les enfants d’Hitler» (1942), de Edward Dmytryk ou du patron du crime de «Les démons du gain» (1950), de Joseph M. Newman.

Il n’a pas le beau rôle même quand il est en tête d’affiche, ce qui lui arrive régulièrement. Ainsi, dans «Le maître du crime» (1933), de John S. Robertson, Otto Kruger incarne un détective bien décidé à se débarrasser de l’auteur de romans qui a séduit sa femme. Et le voilà en médecin meurtrier dans «Le crime du docteur Norton» (1935), de Herbert Brenon. Il joue même les savants fous dans «Jungle captive» (1945), de Harold Young. Mais Otto Kruger peut e monter plus positif: il interprète ainsi un directeur de magazine tombé sous le charme de Rita Hayworth dans «La reine de Broadway» (1944), de Charles Vidor, le chef d’un réseau de contre-espionnage, une fois de plus dans le rôle principal, dans «Fuite dans la brume» (1944), de Budd Boetticher, ou encore un producteur qui, convaincu par ses talents de danseur, engage Rudolph Valentino dans le biopic de Lewis Allen consacré au célèbre acteur du muet, en 1950.

Son allure de patricien lui vaut aussi des rôles de médecins et de magistrats, comme ce juge Mettrick qui, dans «Le train sifflera trois fois» (1952), de Fred Zinnemann, exhorte Gary Cooper à quitter la ville. Otto Kruger met un terme à sa carrière en 1964 et décède le jour de son 89e anniversaire, le 6 septembre 1974, à Woodlands Hill, dans une maison de retraite réservée aux gens du spectacle.

© Jean-Pascal LHARDY