René Sarvil

«On connaît, dans chaque hémisphère, notre Cane-Cane-Cane Canebière et partout elle est populaire, notre Cane-Cane-Cane Canebière». Dans les années 30, cette célèbre chanson, chantée par Henri Alibert, est sur toutes les lèvres. On la doit au compositeur Vincent Scotto et à René Sarvil, qui en a écrit les paroles. C’est sans doute le plus grand succès de ce parolier prolifique, né le 18 janvier 1901 à Toulon. Marseille, et, plus largement, la culture provençale, avec ses félibres et ses marins en goguette, est tout l’univers de René Sarvil, qui en est l’un des hérauts les plus talentueux. Avec Vincent Scotto, il crée un genre, l’opérette marseillaise, qui triomphe dans la cité phocéenne, mais aussi à Paris.

De fait, René Sarvil est le librettiste de la plupart des opérettes composées par Scotto: «Au pays du soleil» (1932), où Henri Alibert et Jenny Hélia susurrent «J’ai rêvé d’une fleur», «La revue marseillaise», la même année, ou encore «Un de la Canebière» (1935), où, en plus de la fameuse «Canebière» citée plus haut, Alibert entonne «Le plus beau de tous les tangos du monde», immortalisé, un peu plus tard, par Tino Rossi, et «Les Pescadous ouh ouh de la Martiale». Non content d’écrire les paroles de ces spectacles, René Sarvil y tient souvent un rôle. Il écrit aussi d’innombrables chansons pour les plus grands interprètes, tels Maurice Chevalier, Tino Rossi, Fernandel, Edith Piaf ou Marie Dubas. Il passe aussi dans les cabarets parisiens, notamment à la Lune Rousse, rue de Pigalle, où se produisent d’autres chansonniers émérites, comme René Dorin ou Pierre Dac, dont René Sarvil écrit alors les sketches.

Au cinéma, René Sarvil participe d’abord aux adaptations des opérettes dont il est l’auteur, avec Vincent Scotto: «Le mystère du château d’If» (1932), de René Barberis, «Au pays du soleil» (1933), de Robert Péguy, ou encore «Un de la Canebière» (1937), de René Pujol, la plus célèbre, où il reprend le rôle de Girelle qui, avec Henri Ailbert, et Rellys, cherche l’âme sœur. Citons encore «Le roi des galéjeurs» (1939), de Fernand Rivers, où Sarvil retrouve encore le rôle de Galinette. Le folklore marseillais inspire encore d’autres réalisateurs, comme, à nouveau, René Pujol, qui offre un rôle savoureux à Alibert dans «Titin des Martigues» (1937), ou, plus tard, Marcel Pagnol, qui, dans «Manon des sources» (1952), fait de René Sarvil le truculent gendarme qui préside à sa manière le procès intenté à Manon, Jacqueline Pagnol. Il faut dire qu’avec son accent chantant et sa bouille rebondie, il a la tête de l’emploi. Ce corpus provençal est complété par d’autres œuvres de René Sarvil, portées à l’écran, dont «Trois de la Canebière» (1955) et «Trois de la marine» (1956), de Maurice de Canonge, toujours sur une musique de Vincent Scotto.

René Sarvil sort parfois de son Midi natal pour incarner des personnages attachants, comme le Ragueneau d’Edmond Rostand, ce pâtissier et poète à ses heures, dans l’adaptation à l’écran de «Cyrano de Bergerac» (1945), de Fernand Rivers, ou l’imprésario de «Les deux gamines» (1950), de Maurice de Canonge, avec Léo Marjane dans l’un de ses rares rôles au cinéma. Sarvil ne quitte pas ce cinéma à la petite semaine, confectionné, avec de vieilles recettes, par des faiseurs comme Jacques Daroy («Sergil chez les filles»-1951), Maurice Cam («Une fille dans le soleil»-1952), avec Henri Genès, un autre amateur de galéjades, et autres Georges Combret («Les fortiches»-1960) dont il signe, comme bien d’autres films, le scénario et les dialogues). Oublié, ce serviteur de la comédie marseillaise nous a quittés le 31 mars 1975.

© Jean-Pascal LHARDY