Elmo Lincoln

Le grand titre de gloire de Elmo Lincoln, né le 6 février 1889, est d’avoir été le premier Tarzan de l’écran. Ce Tarzan un peu empâté a l’air de ce qu’il est en réalité: un ancien cheminot déguisé en homme sauvage. Avec sa peau de bête et sa coiffure à l’indienne, il semble davantage sortir de la préhistoire que de la jungle. Comparé au plus grand des Tarzan, Johnny Weissmuller, dont il n’a, et de loin, ni la plastique, ni l’élan vital, ni même cette candeur si touchante, il fait pâle figure. D’ailleurs, Edgar Rice Burroughs lui-même, le père de l’homme singe, n’est pas du tout enthousiasmé par un tel choix.

Et pourtant, ce Tarzan poussif rencontre un grand succès. Il paraît d’abord dans «Tarzan chez les singes» (1917), de Scott Sidney, aux côtés de Enid Markey, dans je rôle de Jane. Le film s’inspire d’un roman de Burroughs, dont il suit fidèlement la trame: au cours d’une traversée, Lord et Lady Greystoke sont séparés de leur enfant, qui est recueilli et élevé par un singe. Il faudra attendre le film de Hugh Hudson, «Greystoke, la légende de Tarzan» (1984), avec Christophe Lambert, pour retrouver cette évocation de l’enfance de Tarzan, et du drame qui la marque. Tout est en place, dès ce premier film: Tarzan se balance dans les arbres, fort aidé par des plans de coupe opportuns, domine les animaux, terrorise les indigènes rivaux et pousse, sans qu’on l’entende, son célèbre cri. Elmo Lincoln - Tarzan rencontre Jane dans «Le roman de Tarzan» (1918), de Wilfred Lucas, et poursuit ses aventures dans un serial très populaire, «Les dernières aventures de Tarzan» (1921), de Robert F. Hill et Scott Sidney. Se sentant comme chez lui dans les profondeurs de la forêt tropicale, Elmo Lincoln tient encore l’affiche, pour la dernière fois, d’un autre serial, «Le maître de la jungle» (1927), de Webster Cullinson. L’arrivée du son et le drame qui touche un autre acteur du film, qui se fait dévorer par un lion, auraient poussé le comédien à déserter les studios pour une dizaine d’années.

Mais la carrière de Elmo Lincoln ne se réduit pas à son interprétation de Tarzan. Il a l’insigne honneur de jouer de petits rôles, à ses débuts, dans deux des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma, «Naissance d’une nation» (1915) et «Intolérance» (1916), deux films de David Wark Griffith. Il est aussi le génie sortant de la lampe dans «Aladin» (1917), de Chester M. Franklin et Sidney Franklin. Le succès des Tarzan lui vaut une telle popularité que le héros de certains de ses films porte son propre prénom: «Le maître du monde / Elmo the mighty» (1919), de Henry MacRae, et «Elmo the fearless» (1920), de J.P. MacGowan.

Après avoir abandonné le cinéma, pour se lancer dans l’exploitation minière vers les débuts du parlant, comme on l’a vu, Elmo Lincoln revient devant les caméras à la fin des années 30. Il est déjà oublié et il mène dès lors jusqu’en 1952, l’année de sa mort, une carrière obscure, faite de petits rôles, à la limite de la figuration. Il a dû regretter sa gloire enfuie pendant que, sur les plateaux de «Tarzan à New York» (1942), de Richard Thorpe et «Tarzan et la fontaine magique» (1949), de Lee Sholem, Johnny Weissmuller et Lex Barker s’élancent de liane en liane. À noter enfin qu’il joue, très brièvement, son propre rôle dans l’un de ses derniers films, «Un crime parfait» (1951), de William Castle, auprès de Richard Conte. et Julia Adams. Victime d’une crise cardiaque, Elmo Lincoln décède le 27 juin 1952, à Los Angeles.

© Jean-Pascal LHARDY