Nigel Bruce

Dans nos mémoires, Nigel Bruce reste avant tout comme l’une des meilleures incarnations du docteur Watson. Dans une série de films, qui vont de la fin des années 30 au milieu des années 40, il personnifie, aux côtés de Basil Rathbone, le Sherlock Holmes le plus réussi à mon sens, le célèbre acolyte du détective à la pipe. La composition de Nigel Bruce n’est pas du goût de tous les lecteurs de Conan Doyle. En effet, l’acteur dessine un Watson paterne et un peu balourd, qui n’a pas grand-chose à voir avec le modèle original. Il en fait une sorte de médecin de campagne, très dévoué à son ami, mais dépourvu de toute imagination. Flanqué de ce faire-valoir un peu obtus, qui ne comprend ses célèbres déductions qu’après coup, Sherlock Holmes ne peut que passer pour un génie. Mais le contrepoint comique assuré par ce Watson un peu rustaud n’en est pas moins plaisant.

Ce rôle fétiche est d’ailleurs dans la ligne des rôles joués par Nigel Bruce. En effet, le comédien, né le 4 février 1895, incarne à l’écran le brave type, le bon copain un peu collant mais toujours prêt à rendre service. Avec son teint fleuri, son air jovial et son embonpoint confortable, il prend la vie du bon côté, toujours prêt à savourer un verre de brandy ou a livrer une partie de polo. C’est sous ces airs aimables qu’il apparaît dans «Rebecca» (1940), le premier film américain de Alfred Hitchcock. Il y incarne le beau-frère de Laurence Olivier, que sa femme, Joan Fontaine, soupçonne de vouloir tuer. Dans «Suzanne et ses idées» (1940), de George Cukor, il campe encore un ami bienveillant, agacé par les sermons de Joan Crawford. Nigel Bruce porte le nœud papillon et le veston de tweed avec l’aisance atavique d’un gentleman farmer. Ce qui lui vaut de jouer les aristocrates dans une poignée de films. Dans «La fin de Mme Cheyney» (1936), de Richard Boleslawski, le titre de lord lui va comme un gant. Et, dans «Une dépêche Reuter» (1940), de William Dieterle, il incarne sir Randolph Persham, l’ami de Paul Reuter - Edward G. Robinson -, qui finance la nouvelle ligne de télégraphe du fondateur de l’agence Reuters. Et dans l’adaptation par Harold Young du roman de la baronne Orczy, «Le chevalier de Londres» (1934), il se glisse même dans la peau du prince de Galles, futur George IV.

Sa bonhomie et sa moustache lui donnent aussi l’allure d’un colonel de l’armée des Indes. Ses personnages de militaires, comme les autres, font preuve d’une tranquille médiocrité (dans la vie, au contraire, il fut un courageux officier durant la Première Guerre mondiale). Ainsi, dans le film bondissant de Michael Curtiz, «La charge de la brigade légère» (1936), avec Errol Flynn, il campe un chef de poste, dans l’Inde britannique, qui ordonne à ses hommes une manœuvre meurtrière. Et le voilà major dans «La baronne et son valet» (1937), de Walter Lang.

Le registre grave ne sied guère à Nigel Bruce. Même quand il est père de famille, comme dans «Free and easy» (1940), de George Sidney, il concurrence son fils dans la course aux jupons. Car une petite lueur égrillarde peut fort bien s’allumer dans son œil placide. À la fin de sa carrière, le comédien joue un imprésario dans le dernier film américain de Charles Chaplin, «Les feux de la rampe» (1952). Ayant joué au cricket, dans sa jeunesse, Nigel Bruce fut le capitaine de l’équipe d’Hollywood, composée surtout d’Anglais, comme lui. Il décède prématurément, le 8 octobre 1953, d’une crise cardiaque.

© Jean-Pascal LHARDY